L'expérience langagière de l'enfant est nourrie de sa participation à des interactions de type dyadique et à des interactions de type polyadique. Dans le cadre des interactions polyadiques, l'enfant peut occuper le rôle de locuteur, mais également différents rôles de récepteur (Goffman, 1981; Goodwin, 2006) et participer à ces interactions de façon plus ou moins directe. Des travaux en anthropo-linguistique (Schieffelin & Ochs, 1986) et en psycholinguistique (Akhtar, 2005) suggèrent que la participation indirecte de l'enfant aux interactions verbales contribue aux processus d'acquisition du langage et de socialisation langagière.
Dans cette étude, nous interrogeons les rôles que des enfants d'âges différents occupent dans un contexte social particulier : le dîner familial (Blum-Kulka, 1997). Plus particulièrement, nous questionnons l'impact de l'usage de langues dont les modalités d'expression et de réception ne sont pas identiques, le français et la langue des signes française (LSF), sur l'occupation de ces rôles et sur l'accès par les enfants, à des contenus sémantiques et discursifs variés.
Notre corpus est constitué de données d'interactions spontanées, dans des familles composées d'au moins quatre membres, pendant le dîner : quatre familles dont les membres sont sourds et dont la LSF est la langue de communication ; quatre familles dont les membres sont entendants et dont le français est la langue de communication ; deux familles dans lesquelles l'un des enfants au moins est sourd et les parents sont entendants.
Les analyses ont été conduites avec le programme ELAN. Les annotations, systématiques, nous ont permis, d'une part, d'identifier le locuteur, son/ses interlocuteur/s direct/s, la/les langue/s utilisée/s, le thème de l'énoncé. L'annotation de la direction du regard et de la contingence des énoncés et des actions des enfants avec les énoncés précédents ont permis, d'autre part, de faire des hypothèses quant à l'accès des enfants aux énoncés qui ne leur sont pas directement adressés.
Nos premiers résultats suggèrent que les enfants sont souvent en interaction directe avec leurs parents durant le dîner. En revanche, quand ils ne sont pas en interaction directe avec un autre membre de la famille, ils regardent peu les échanges et n'ont donc que très peu accès à des contenus sémantiques et discursifs variés (activités passées ou futures de la famille; moments d'humour).
Ces données soulignent l'importance de sensibiliser les parents entendants d'enfants sourds aux caractéristiques spécifiques de leur mode de participation aux interactions et à l'importance de l'accès au langage adressé et non adressé pour le développement de leur enfant.
Akhtar, N. (2005). The robustness of learning through overhearing. Developmental Science, 8(2), 199‑209. doi :10.1111/j.1467-7687.2005.00406.x
Blum-Kulka, S. (1997). Dinner talk : Cultural patterns of sociability and socialization in family discourse. Lawrence Erlbaum. doi:10.4324/9780203053225
Goffman, E. (1981). Forms of talk. University of Pennsylvania Press.
Goodwin, C. (2006). Interactive Footing. In E. Holt & R. Clift (Eds.), Reporting Talk: Reported Speech in Interaction (Studies in Interactional Sociolinguistics, pp. 16-46). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9780511486654.003
Schieffelin, B. B., & Ochs, E. (Eds.). (1986). Language socialization across cultures. Cambridge University Press.