Dans cette contribution nous présenterons une étude longitudinale des discours sur le français tenus par des jeunes en formation professionnelle durant des interactions entre pairs ou avec une personne de l'équipe de recherche.
Le cadre de l'étude est celui de l'enseignement des compétences d'interactions à l'aide de corpus de conversation disponibles en ligne (André, 2018). Pour le français il existe plusieurs études ayant testé l'utilisation des corpus de langue parlée comme ressource didactique, mais la plupart lors d'interventions ponctuelles. Un défi majeur est celui des critères d'évaluation du développement de la compétence d'interaction. Traditionnellement l'analyse des conversations est menée dans une perspective émique, principalement descriptive. Suite à la valorisation de la compétence d'interaction dans l'apprentissage des langues étrangères, plusieurs propositions d'évaluation du développement de cette compétence sont actuellement testées (Salaberry & Kunitz, 2019). Ici nous nous intéresserons au développement des discours sur la langue et l'interaction dans le temps.
Nos données proviennent d'un projet en linguistique appliquée dont le but est de tester l'utilisation des corpus pour l'enseignement de la compétence d'interaction. Il est mené dans dix classes d'élèves parlant le français depuis la naissance (±40 élèves) ou comme langue seconde (±30 élèves, niveau B1-B2) suivant une formation professionnelle de base pour des métiers manuels (restauration, construction…). Les interventions sont réparties sur deux ans (2022-2023) à raison de deux de 90 minutes par semestre. Après chaque intervention les élèves font deux exercices en autonomie de 30 minutes environ sur une plateforme éducative. Le matériel cible principalement les "petits mots de l'oral" tels que juste ou d'accord, typiquement polysémiques. Au début de chaque intervention nous enregistrons les élèves durant 10 minutes (audio) alors qu'ils discutent librement par deux.
Une première analyse des interactions nous révèle que le niveau de français est très hétérogène mais que la plupart des allophones est fortement engagée avec le français. Ils racontent des difficultés d'intercompréhension sur leur lieu de travail ainsi que les stratégies mises en place pour y parer. Malgré les succès, les discours soulignant le français comme langue difficile à apprendre sont nombreux.
L'utilité des séquences didactiques basées sur les corpus de français parlé est difficile à établir directement, mais l'analyse des discours sur le français et son usage suggère qu'elles ont un effet positif sur le niveau d'attention aux phénomènes enseignés, aussi en dehors de la classe.
André, V. (2018). Nouvelles actions didactiques: Faire de la sociolinguistique de corpus pour enseigner et apprendre à interagir en français langue étrangère. Action Didactique, 1, 71–88.
Salaberry, M. R., & Kunitz, S. (Eds.). (2019). Teaching and Testing L2 Interactional Competence: Bridging Theory and Practice. Routledge.