Cette contribution, à la croisée de la sociophonétique descriptive et appliquée, donne les grandes lignes des résultats obtenus dans le cadre du projet ANR NoBiPho sur la non binarité de genre, en particulier par la voix produite et perçue.
L'objectif du projet est de tester les paradigmes émergents qui considèrent le genre comme un système non binaire (Bing et Bergvall, 1998), libre du postulat du dimorphisme sexuel humain, et de proposer une nouvelle modélisation capable de rendre compte de la diversité humaine.
Afin de savoir si la qualité de voix produite et perçue n'obéit pas à des considérations catégorielles d'ordre binaire, plusieurs types d'analyses ont été conduites à partir des productions orales de sujets de genre masculin, féminin et non binaires.
Dans l'étude consacrée à la production de la voix chez ces sujets, il s'agissait de savoir si la variation vocale produite par les personnes non binaires assignées-femmes-à-la-naissance (AFAB) diffère de la variation vocale produite par les participants cisgenres (également cis), au niveau de sa hauteur et de son timbre clair ou brillant.
Pour ce faire, des analyses phonétiques et statistiques d'échantillons de parole continue produits par 6 participants AFAB non-binaires, 5 femmes et 4 hommes cisgenres canadien.nes ou américain.es ont été effectuées. Les indices vocaux étaient la fréquence fondamentale moyenne (F0) et la qualité de la voix claire, mesurée par la proéminence du pic cepstral lissé (CPPS, Maryn et Weenink, 2015) et la pente spectrale ; le genre des personnes étant le prédicteur.
Les résultats ont montré qu'au niveau du groupe, les participants non-binaires ont produit des valeurs de F0 intermédiaires - significativement inférieures à celles des femmes cis et significativement supérieures à celles des hommes cis. Individuellement, la majorité des participants non binaires ont produit des valeurs F0 moyennes dans cette fourchette intermédiaire. Les participants non binaires ont produit une pente spectrale négative significativement moins importante et un CPPS plus élevé, ce qui indique une qualité de voix plus lumineuse et plus résonnante. Les résultats au niveau individuel indiquent que la formation vocale et la physiologie du tractus vocal n'expliquent pas entièrement les résultats obtenus.
Ainsi, l'agentivité des participants, en particulier leur motivation à modifier leur production vocale pour éviter d'être mal classé au niveau de leur genre, a un effet sur la production de F0 des participants AFAB non binaires et potentiellement sur la qualité de leur voix. La majorité des participants AFAB non binaires ont produit de manière unique la combinaison de signaux de F0 intermédiaire et de qualité de voix plus claire (Brown & Pillot-Loiseau, sous presse) et cela a un impact sur leur perception genrée sur la base de la simple écoute de leur voix.
Références
Bing J. M. & Bergvall V.L. (1998). The Question of Questions: Beyond Binary Thinking. In J. Coates (Ed.), Language and Gender: A Reader (496-510). Oxford: Blackwell.
Brown, L., Pillot-Loiseau, C. (sous presse). Bright voice quality and fundamental frequency variation in non-binary speakers, Journal of Voice.
Candea M., Brown L. Variation interculturelle de la perception du spectre masculin-féminin : indexation de la voix genrée en France et aux Etats-Unis. Vinay Swamy; Louisa Mackenzie. Devenir non-binaire en français contemporain, Le Manuscrit, 2022.
Maryn, Y, Weenink, D. (2015). Objective dysphonia measures in the program Praat: smoothed cepstral peak prominence and acoustic voice quality index, Journal of Voice, 29(5), 35-43. doi: 10.1016/j.jvoice.2014.06.015