L'expression "comment ça va ?" ("how are you") est probablement une de celles qui a été le plus étudiée dans les travaux interactionnels, en tant qu'exemple canonique de "paire adjacente" (Sacks, Schegloff, Jefferson, 1974), de communication phatique (J. Coupland, 2000), de rituel (Goffman, 1974), et d'expression de politesse (Kerbrat-Orecchioni, 1992). En analyse conversationnelle, elle a surtout été étudiée à travers son rôle de structuration, pour signaler le passage d'une phase à une autre de l'interaction.
Dans les interactions médicales, "how are you?" est une des questions utilisées pour initier la phase de présentation du problème. Plusieurs études ont montré qu'elle est interprétée différemment selon son emplacement séquentiel (J. Coupland et al. 1994, Heath 1981, Robinson et Heritage, 2006), et qu'elle prête souvent à ambigüité, étant traitée soit une comme question d'ouverture de conversation, soit comme une demande de présenter le problème.
Boyer (2018) fait des observations similaires en France dans un corpus de médecine générale et conclut que la question "comment ça va ?" peine à faire émerger un motif clair en comparaison avec une question du type "qu'est-ce qui vous amène ?". Dans une étude de cas sur un contexte de santé mentale, Ticca et Traverso (2017) observent en outre que la psychologue utilise également un changement de voix sur "comment ça va ?", et que l'interprète reproduit cette caractéristique.
Dans cette contribution, je vais étudier l'usage de "comment ça va ?" dans un corpus de consultations en santé enregistrées dans le cadre du projet Remilas (http://icar.cnrs.fr/projet-remilas/). L'étude se focalisera sur l'impact de cette question dans le contexte particulier de consultations destinées à l'établissement d'un certificat médical pour la demande d'asile.
Dans ces consultations, dont une bonne partie se déroule par le truchement d'un interprète, la question "comment allez-vous ?" n'est pas utilisée à l'ouverture de l'interaction. Mais ceci n'entre pas en contradiction avec les études antérieures, puisque ces consultations ne sont pas orientées vers le soin et qu'elles ne contiennent par conséquent pas de phase de "présentation du problème". La question est en revanche posée plus tard dans l'interaction (entre 40 minutes et 1h10 après son début), pour marquer la transition de la discussion sur l'histoire du patient et l'inventaire des sévices qu'il a subis, vers l'évaluation de son état actuel.
Dans cet emplacement, la question ouvre une séquence à fort enjeu, puisque l'état décrit par le patient pourra permettre de le catégoriser, par rapport aux nomenclatures (ex.DSM-V, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).
Sur le plan interactionnel, "comment ça va ?" déclenche presque systématiquement une réparation de la part du patient .
La façon dont elle est rendue par l'interprète est un aspect qui mérite également l'attention, puisque le demandeur réagit à l'ensemble constitué par la question originale et sa traduction par l'interprète.
Elle est également intéressante parce qu'elle est déclinée de différentes façons par les différents médecins enregistrés dans le corpus, certains cherchant à établir, par des pratiques multimodales un contact direct avec le demandeur, au-delà de la médiation de l'interprète.