Dans l'étude des interactions de santé, une attention particulière a été portée à la phase de présentation du problème, lors de laquelle le patient annonce la raison de sa visite et décrit ses symptômes (Heritage & Robinson 2006). Il a été montré notamment que, dans cette phase, le patient a la possibilité de décrire sa maladie dans ses propres termes et que, de ce fait, son autorité épistémique est mise en avant. Néanmoins, la description des symptômes peut se révéler une activité interactionnelle complexe, demandant le déploiement de plusieurs ressources sémiotiques (Heath 2012). La description de symptômes relevant de troubles mentaux constitue un défi particulièrement important, au point qu'elle peut amener à un diagnostic erroné (Tate 2020).
Dans des consultations de santé avec des demandeurs d'asile, qui se déroulent par l'intermédiaire d'un interprète, la description des symptômes demande un travail interactionnel important tant au patient qu'aux autres participants à l'interaction. La tâche de l'interprète, spécialement délicate, consiste à retransmettre la souffrance du patient tout en restant « neutre » (Piccoli 2019) et en rendant compréhensibles pour le soignant des éléments implicites ou connotés culturellement (Anderson & Cirillo 2020). De plus, l'enchevêtrement entre les sphères de la santé physique, des troubles mentaux et de la précarité administrative apparaît spécialement fort chez ce public (Gekière 2017), ce qui peut rendre ardu l'établissement d'un diagnostique.
En se fondant sur un corpus de 91 consultations vidéo-enregistrées dans le cadre du projet REMILAS, cette contribution s'intéresse à des séquences de description de symptômes psycho-physiques dans différents contextes médicaux (consultations de médecine générale, suivis de psychothérapie, visites pour l'établissement de certificats) en France, avec des demandeurs d'asile et des interprètes professionnels ou non-professionnels. En particulier, nous nous focaliserons sur les différentes ressources mobilisées par l'interprète pour retransmettre au soignant des descriptions ambiguës, centrées sur des symptômes qui pourraient relever tant de la santé physique que de la santé mentale, et nous nous demanderons dans quelle mesure les choix de l'interprète peuvent faire pencher l'interprétation du soignant vers l'un des deux champs. Une attention particulière sera accordée aux formulations et reformulations multimodales (Traverso 2017) qui permettent aux participants de donner une définition fine des symptômes.
Anderson L.J. & Cirillo L. (2020): The Emergence and Relevance of Cultural Difference in Mediated Health Interactions, Health Communication.
Gekiere, C. (2017). Au-delà du traumatisme : pratique d'une psychiatrie en EMPP. Rhizome 63, 39-43.
Heath C. (2012), Demonstrative suffering: The gestural (re)embodiment of symptoms. In Beach W. A. (dir.), Handbook of Patient-Provider Interactions, NY, Hampton Press, 687-700.
Heritage J., Robinson J.A (2006), The structure of patients' presenting concerns: physicians' opening questions. Health Communication 19(2), 89-102.
Piccoli V. (2019), (Re)transmettre la souffrance émotionnelle : une analyse interactionnelle de consultations entre soignants, demandeurs d'asile et interprètes en France. Langage et Société 167/2, 175-198.
Tate A. (2020), Matter over mind: How mental health symptom presentations shape diagnostic outcomes. Health24(6), 755-772.
Traverso V. (2017). Formulations, reformulations et traductions dans l'interaction: le cas de consultations médicales avec des migrants. RFLA 22(2), 147-164.