Ce travail explorera le phénomène de la motivation synchronique des locutions telles que se fendre la poire (´rire aux éclats`) à travers une perspective qui, en s'éloignant de l'approche traditionnelle, vise à montrer que les processus de motivation en phraséologie ne diffèrent pas de ceux qui opèrent dans le lexique en général.
Bien que les locutions, ainsi que l'ensemble des unités phraséologiques, fassent partie du lexique, la motivation en phraséologie repose sur des critères différents par rapport à ceux qui déterminent la motivation lexicale, c'est-à-dire la motivation qui concerne le lexique en général. La motivation phraséologique est traditionnellement décrite en tant que phénomène cognitif qui se base sur les liens conceptuels qui s'instaurent entre le sens compositionnel (le sens qui résulte de la somme des sens des composantes de la locution) et le sens idiomatique de la locution (Dobrovol'skij/Piirainen 2005 : 87). En phraséologie, la motivation semble donc se produire uniquement dans les relations cognitives qui relient le sens compositionnel au sens idiomatique des locutions. En revanche, ce type de motivation n'est qu'une des possibilités prévues dans le domaine de la motivation lexicale. La motivation extrinsèque prévoit la possibilité de motiver une unité linguistique (par ex. main) sur la base d'une autre unité linguistique (dans ce cas, manuel) (Marzo 2013 : 148). Encore, des recherches empiriques (Marzo 2013) ont observé que la polysémie est un processus de motivation lexicale à part entière : certaines unités lexicales polysémiques (par ex. mot ´courte lettre, billet`) peuvent se motiver à travers les autres sens qu'elles présentent (dans ce cas, mot ´son ou groupe de sons ayant une signification`) (Marzo 2013 : 160). La divergence d'approches se manifeste davantage dans l'identification des dimensions qui déterminent la motivation. Si la motivation en phraséologie s'occupe uniquement de relations cognitives, la motivation lexicale repose également sur une dimension formelle : deux unités lexicales sont motivées s'il y a une relation formelle entre les formes F1 et F2 et une relation cognitive entre les concepts C1 and C2 désignés par leurs formes F1 et F2 (Koch 2001 : 1156).
En s'appuyant sur des exemples de locutions françaises, l'analyse systématique de la motivation des locutions nous permettra i) de démontrer la compatibilité de la notion de motivation phraséologique avec la notion de motivation lexicale et ii) de mettre en relief les possibilités qu'une telle approche est en mesure d'apporter au domaine de la phraséologie. Ce travail vise donc à proposer une nouvelle définition de motivation synchronique des locutions, qui puisse rendre compte de la complexité de la structure sémantique des locutions, ainsi que de la pluralité de processus à la base de ce phénomène.
Dobrovol'skij, D./Piirainen, E. (2005): Figurative language: Cross-cultural and cross-linguistic perspectives. Amsterdam: Elsevier.
Koch, P. (2001): "Lexical typology from a cognitive and linguistic point of view". Haspelmath, M. et al. (eds.), Language Typology and Language Universals, 2, Berlin/New York, De Gruyter, 1142-1178.
Marzo, D. (2013): Polysemie als Verfahren lexikalischer Motivation. Theorie und Empirie am Beispiel von Metonymie und Metapher im Französischen und Italienischen. Tübingen: Narr.