Notre étude porte sur un corpus de 10 ans de chat de prévention du suicide : s'y déroulent des interactions entre des appelants en situation de détresse, de vulnérabilité, qui font la démarche de se connecter au chat, et des écoutants bénévoles non professionnels, chargés d'accueillir la parole des appelants et formés à la prévention du suicide et à l'accompagnement que cela requiert. Le chat étudié ici a été mis en place en France en 2005 pour recueillir plus particulièrement la parole des jeunes, qui s'avéraient moins prompts à utiliser le téléphone pour confier leur mal-être. Les discours des écoutants permettent d'y créer les conditions favorables à des confidences pour les écoutants. Ils accueillent dans l'anonymat des récits sensibles et intimes, et accompagnent les appelants dans leur « mise en mots », et jouent un rôle essentiel dans l'aide à mieux vivre ses vulnérabilités, à les mettre à distance, par la performativité de la parole, c'est-à-dire à sa capacité de réaliser des actions en les énonçant.
Notre étude examinera le rôle joué par la narration dans la verbalisation des appelants. Il s'agit de décrire finement les fonctions pragmatiques et la structuration syntaxique et macro-syntaxique de la narration déployée au fur et à mesure dans la parole des appelants : à quels moments la narration émerge-t-elle (Sacks 1986 ; Traverso 1994, 1996) ? ; quelles ressources discursives (Bres 1994), syntaxiques et macro-syntaxiques (Auer 2015 ; Blanche-Benveniste et al, 1990) sont sollicitées dans ces conversations écrites (Koch & Oesterreicher 2001) ? ; quelle étendue fonctionnelle pour la narration dans ce contexte écologique particulier d'un chat de prévention (Auer 1998, 1999) ? Et en particulier, les moments narratifs et argumentatifs, s'avérant formellement difficilement séparables, comment se combinent-ils dans la confidence engagée auprès des écoutants ? La réception du récit entretissée de contre-argumentations (contre l'acte suicidaire en particulier) de la part des écoutants sera un des points d'orgue de cette étude (Doury 2016).
Auer, P., 1999, From codeswitching via language mixing to fused lects. Toward a dynamic typology of bilingual speech, International Journal of Bilingualism, 3(4), 309-332.
Auer, P., 2015, Temporality in Interaction, in Deppermann A. & Günthner S., Studies in Language and Social Interaction, 27, 27-56.
Blanche-Benveniste, C., et al., 1990, Le français parlé (études grammaticales), Sciences du langage, Ed. du CNRS.
Brès J. (ed.), 1994, Le récit oral, Montpellier, Praxiling, Publications de l'Université Paul Valéry.
Doury, M., 2016, Argumentation : analyser textes et discours, Paris, Colin.
Koch P. & Oesterreicher W. (2001). Langage parlé et langage écrit, in Lexikon der Romanistischen Linguistik, Tome 1, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 584-627.
Sacks, H., 1986, Some consideration of a story told in ordinary conversations, Poetics, 15 (1-2), 127-138.
Traverso V. (1996). La conversation familière, Lyon : PUL.