Notre proposition s'inscrit dans le projet Augmented Artwork Analysis visant à produire une application sur tablette numérique pour une perception et une interprétation augmentées de tableaux au musée. Le prototype mettra en évidence différentes strates d'une œuvre d'art : l'organisation plastique (textures, couleurs et composition) ; la dimension figurative et narrative (des personnages, des paysages et des objets qui participent de multiples récits) ; la dynamique esthétique (les sens, la sensibilité et les affects des spectateurs).
Notre corpus d'analyse relève d'une observation in situ des pratiques des médiations au musée à travers un dispositif de captation qui passe par une pluralité de cameras (360° aussi) et de modalités de prise du son que nous présenterons et problématiserons. Dans un dialogue entre une sémiotique des pratiques (Fontanille, 2008) et une analyse des interactions (Mondada, 2008 ; Dufiet 2012), nous prêterons attention aux paroles échangées entre les participants pour ce qu'elles impliquent une articulation complexe entre une expérience de l'œuvre in situ, un discours sur l'œuvre face à soi et d'autres objets (des productions culturelles et artistiques dans le même musée ou dans d'autres espaces). Nous devrons ainsi prendre en compte la dimension spatiotemporelle du déploiement des interactions où repérer et décrire, d'une part, la négociation du parcours avec ses anticipations et ses rappels (séquentialité, transition entre les pièces, les salles et les œuvres) et, d'autre part, les relations qui s'instaurent entre le groupe et l'espace du musée, entre les guides et les publics.
Dans la perspective d'une analyse linguistique et sémiotique appliquée, nous étudierons de manière privilégiée la complexité qui agit dans le déploiement d'une parole-en-interaction sur les tableaux, entre une trame narrative préparée à l'avance et une expérience toujours renouvelée de l'œuvre (des ouvertures occasionnées par l'intervention des publics, la découverte de détails jusqu'alors inaperçus). En nous appuyant sur notre corpus transcrit et annoté via le logiciel ELAN, nous montrerons les différentes formes de rhétorique qui infléchissent le cours de l'interaction dans la mise en partage de sensibilités, de connaissances et de valeurs. Il s'agira notamment de souligner en quoi l'étude de visites guidées aux formats multiples (avec notamment des variations de durée, de nombre d'œuvres commentées et de technicité des termes mobilisés) constitue une étape préalable nécessaire à la production d'un discours des chercheurs sur les œuvres et à son implémentation dans une application numérique. En horizon de notre réflexion, nous interrogerons en quoi l'analyse des pratiques de médiation en interaction pourrait constituer un outil pertinent pour la formation initiale ou continue des guides dans la négociation d'une vision professionnelle (Goodwin, 1994).
Références indicatives
Dufiet J.-P. (éd.) (2012). Les visites guidées. Discours, interaction, multimodalité, Trento, Labirinti
Fontanille J. (2008). Pratiques sémiotiques, Paris, PUF.
Goodwin, C. (1994). Professional Vision. American Anthropologist, 96(3), pp. 606-633.
Mondada, L. (2008). Production du savoir et interactions multimodales: Une étude de la modélisation spatiale comme activité pratique située et incarnée. Revue d'anthropologie des connaissances, vol. 2, n°2, pp. 219-266.